J'ai cousu.
J'ai cousu des masques pour ma famille, "mon" facteur, "mon" médecin, "ma" médecin (oui, bon j'en ai deux, hélas..), des collègues de travail, des ami.e.s, des cousin.e.s et des voisin.e.s, des agents de sécurité avant qu'on ne les équipe... Bref j'ai fait du bénévolat, j'ai même fait LE bénévolat UP TO DATE (à la mode, quoi!) au moment où je vous écrit (avril 2020, Europe occidentale, confinement COVID).
Comme vous.
Comme vous, très certainement qui lisez ceci.
Comme vous, j'ai utilisé mes tissus, ma MAC, mon fil et surtout mes élastiques (!!! plus rares que du caviar!).
Sans regret.
On s'est retrouvées dans une situation d'urgence, avec le sentiments que nos dirigeants étaient débordés, ça ne permettait pas les états d'âme.
Alors, 80% de mon cerveau a foncé.
80% parce que comme vous, j'ai adoré me rendre utile, voire indispensable. J'ai adoré l'idée de faire partie des héroïnes qui sauvent le monde.
J'ai toujours rêvé d'être une héroïne! Quand j'étais minôme, je rêvais d'être Martha Jane Cannary ou Jacqueline Auriol.
Et vous c'était lesquelles vos préférées???
20% de mon cerveau s'est retrouvé avec tout le bazar de la vie quotidienne à gérer. Et par moment, il me regardait faire : "T'as bien réfléchi cocotte, ou tu fonces, tête dans l'guidon?".
Je n'aime pas beaucoup qu'on me parle ainsi même quand c'est moi-même. J'ai donc dégagé une partie des 80% pour considérer la chose (une commission de réflexion, quoi!).
Je travaillais toujours gratuitement et je donnais des choses, ça s'appelle du bé-né-vo-lét.
Toujours rien contre!
Mais ça me grattait un peu. Que les hôpitaux, EHPAD etc.... en viennent à réclamer, voire mendier de quoi fonctionner et soigner le "peuple de France" malade, c'est rudement dangereux. Ça fleure bon (bon?) son XVIIIeme siècle, quand les hospices relevaient de la charité et des dames patronnesses.
Pas un avenir reluisant.
Et puis ça m'a gratouillé aussi quand des salariés ont été envoyés au taf sans protection. Là ce sont des images du XIXeme siècle qui ont surgi dans ma tête. La grande grève des mineurs, les lampes à pétrole (pétrole? alcool?) près des poches de grisou, tout ça, tout ça...
Pendant ce temps, j'ai continué à coudre tout en jetant un oeuil noir sur ce que je n'avais plus le temps de faire pour les miens.
Toujours pas de regret.
La joie par contre de participer à des groupes comme "couturières solidaires" ou "Mask Attack".
Facebook faisant circuler le meilleur et le pire, il m'est tombé sous les yeux la demande d'une entreprise française qui se lançait dans la fabrication de masques. Elle, l'entreprise, se proposait d'apporter du tissu chez les couturières bénévoles. Fière d'elle, l'entreprise.
J'ai regardé de + près et j'ai vu que ladite entreprise avait l'intention de vendre (ça veut dire recevoir des petits sous) le produit de ce travail et que si elle faisait appel à des bénévoles, c'est parce qu'elle n'avait pas assez de postes de travail et de technicien.e.s qualifié.e.s.
Voyons, voyons, vendre du matériel cousu gratuitement?
Des bénévoles faute d'ouvrières?
Sur des outils nous appartenant, et dont les frais d'entretien nous reviendraient?
Comme je suis encore dans ma peau d'héroïne à ce moment-là, et que j'y tiens (c'est super chouette comme expérience!), je continue à regarder les conditions au cas où je m'engagerais : kit de 300 à 500 masques obligatoirement! Chaque masque ne nécessitant que 3 mn de travail affirmait le chef d'entreprise, beau gosse qui n'a pas su résister au plaisir de placarder sa photo sur l'affiche (sous entendu, si prenez + de 3 mn, vous êtes des br*nles. J'aurais voulu l'asseoir parmi les enfants chez moi, sur ma MAC jusqu'à la fin des 500 masques!).
Jamais, sérieusement JA-MAIS on ne demanderait à nos hommes (la couture étant presque totalement perçue comme une affaire de femmes) de travailler gratuitement, en mettant en péril leurs propres outils, en se faisant imposer une cadence d'usine (vague sourire paternaliste en plus), en gardant les petits, en faisant travailler les grands démotivés par la quantité de devoirs qu'on leur inflige "pour les occuper", et de produire en (très) grande quantité.
Qui, à votre avis, après le confinement, se retournera vers ses ouvrières "vous n'êtes pas contente de votre salaire? La porte est là. Dehors il y a plein de "bonnes femmes" prêtes à la faire gratuitement!" avec tout ce que cela implique de précarité.
Ring ring, mes neurones ont commencé à sonner l'alerte.
Là, j'ai un regret (tout arrive), ne pas avoir fait de copie d'écran de l'annonce.
Tout ça ne s'est pas beaucoup arrangé quelques jours plus tard, quand une (autre) entreprise, spécialisée, elle, dans la filtration, a fait paraitre le même genre d'annonce.
Moi, faisant l'idiote, j'ai envoyé un mail affirmant que j'étais intéressée. Est-ce qu'ils allaient prendre en charge la panne éventuelle de ma MAC pendant le travail? Est ce que je pouvais limiter le nombre de masques à coudre? Pas de réponse dites-donc!
Juste un détail qui tue : fallait avoir son fil en plus de sa MAC!
De mon côté, j'ai commencé à me demander "ça veut dire quoi, bénévolat?" (en fait je le sais, les filles, je continue à faire l'idiote là, pour animer votre lecture).
"Puis-je me permettre de mettre en danger le travail des autres?"...."certains doivent-ils en tirer bénéfice?".. "à la sortie, les salaires des femmes ne vont-ils pas encore se prendre un pain dans la g*eule?"... etc... Tout ça la nuit, quand j'aime dormir tranquille.
Je n'avais pas touché le fond du fond, ma bonne dame!
Voilà t-y pas que ce matin, paf, une ville prépare l'après confinement (on n'est donc plus dans l'urgence) en recherchant des bénévoles pour coudre des masque chez elles!!!!!!!
Voilà, c'est devenu un système politique. Travail féminin = bénévolat = normal et pérennisé = au service des communes!
Pourquoi changer un système qui marche : la bénévole assumera les frais de son outil de production (sa MAC).
Et bien je vais vous le dire, sous l'annonce, ya plein de brav'gens qui trouvaient ça génial.
Moi, ça m'a mise en colère! La preuve qu'il existe d'autres solutions, c'est cette région qui a recherché un local, des MAC, établi des postes de travail très éloignés les uns des autres, recherché des couturières amatrices (parce qu'elles savent déjà coudre à peu près) qui seront RÉMUNÉRÉES (oui bon au SMIC et c'est éphémère, rien n'est parfait). Donc c'est possible.
IL LE FAUDRA.
Que dirons-nous lorsque les états laisseront encore fermer les usines de masques, et refuseront d'envisager des stocks parce qu'ils compteront sur ... la gentillesse des "vraies" femmes, si généreuses? On dira "beurk!" mais il faudra être nombreuses.
PS: soyons clair.e.s en conclusion : ce n'est pas le bénévolat que je remets en cause, mais la façon dont il attire, bien involontairement, les prédateurs. Oui prédateurs*, le mot me semble adéquat.
*Je pourrait parler de "profiteurs", comme les forceurs de blocus ou ceux qui font du marché noir. Le PRÉDATEUR, lui, profite ET s'infiltre dans le cerveau de sa victime, l'hypnotisant. Elle est soumise à une pression, une angoisse et un chantage qui l'éloignent des siens qui auraient pu lui faire prendre de la distance. Ensuite le prédateur modifie l'écosystème (diminution des pauses ou des congés, baisse des salaires sur une branche etc.)
Voilà un exemple de ceux qui surfent sur ce travail gratuit et l'enthousiasme qu'il soulève:
(et si on relevait les pires pour leur faire honte?)
Nota Bene : Quand vous visitez mon blog, je ne gagne aucun argent, ni point, ni bon d'achat ou autre (je ne pensais pas à le dire, mais en fait il semble que ce soit utile). Mon travail/plaisir (écrire ce blog) est essentiellement du partage bénévole. Si des pubs apparaissent, elles alimentent Overblog qui en échange met à disposition tout ce bazar sans frais (pour nous rédactrices/teurs).
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15 avril : Je découvre une initiative de crowfoundind apparemment destinée à financer les frais de production de masques par les "couturières amateures". Dans quelle mesure y aura-t-il un dédommagement pour ces dernières? Leurs MAC seront-elles assurées? A suivre.
Production de masques de protection
À travers cette campagne, nous avons fait appel à des couturières bénévoles afin de répondre au besoin en masques. Les fonds récoltés permettront de rembourser leurs frais de production et ...
https://www.crowdin.be/projet-crowdfunding/production-de-masques-de-protection
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